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claude bourrinet - Page 5

  • L'OTAN et le Grand Déracinement...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à cet Occident qui impose son hégémonie au nom des droits de l'homme.

     

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    L'OTAN et le Grand Déracinement

    L’Occident fait la guerre au reste du monde en tenant volontiers le langage des droits de l’homme. Evidemment, placer en premier plan des intérêts économiques ou géostratégiques, au lieu d’une morale agitée de façon ostentatoire par les chancelleries et les médias, discréditerait un combat que l’on veut noble et bénéfique pour l’avenir de l’humanité. Il serait facile aussi, pour peu qu’on s’en donne la peine, de rappeler le soutien apporté à des régimes manifestement autoritaires, comme le Qatar, le Bahreïn, l’Arabie saoudite, la Géorgie etc., sans compter ceux, renversés par le « printemps arabe », qui, de l’Egypte à la Tunisie, ne semblaient poser aucun problème pour les USA et leurs vassaux, et même, à plus d’un titre, représentaient une certaine modernité exemplaire, comme est censé l’être le royaume du Maroc, qui accueillit il y a peu, comme d’autres pays, dont certains d’Europe centrale, des prisonniers islamiques que l’Amérique désirait torturer sans être tracassée par les champions des droits de l’homme. Ces derniers manquent d’ailleurs de persévérance quand il s’agit de l’oncle Tom. Un camp illégal comme celui de Guantanamo, où des centaines de personnes furent internées sans jugement, et qui n’est pas encore fermé, n’a pas suscité le tollé que les élections russes ont provoqué. Le trafic d’organes au Kosovo, les élections truquées d’Afghanistan, la torture dans la Libye « libérée » n’ont apparemment guère d’importance pour des médias, qui trouvent d’ailleurs normal que, pour ce dernier pays, une liste dénonçant des criminels de guerre, fournie à l’ONU, soit restée anonyme. Qui veut-on protéger ? Le régime même étatsunien paraît ne suggérer aucun opprobre, même si censure, surveillance, contrôle, viol de la vie privée, provocations au terrorisme, flicage tous azimuts, espionnage, répression, semblent entrés dans les mœurs, même si le système d’élection, pourri par le fric, est moins démocratique que ceux de Russie et d’Iran (et ne parlons pas de celui de la France, qui interdit à plusieurs millions de citoyens d’être représentés), même si la peine de mort, qui fait pourtant hurler les bonnes âmes, est appliquée sans trop d’état d’âme, ce qui n’est plus le cas en Russie, pays pourtant présenté comme le parangon du Mal (avec bien d’autres, du reste). Enfin, ces donneurs de leçon seraient bien avisés de réviser leur jugement sur un Etat, comme Israël, qui se réclame explicitement d’une ethnie, qui pratique l’apartheid, sème la terreur dans toute une région, multiplie massacres et assassinats ciblés, et bafoue toutes les résolutions de l’ONU.

    Un tel réquisitoire, contre l’ « impérialisme », n’était pourtant pas inconnu dans l’après-guerre. Il était même courant chez ceux qui voyaient dans l’Amérique une puissance obscurantiste, et dans l’URSS le flambeau de l’émancipation du peuple, « Nouvelle Rome » reprenant à son compte les ambitions universalistes de la révolution française. Il semblerait que, depuis, les puissances de dissolution des identités aient changé de bête, et misé sur un champion beaucoup plus fiable qu’un ours affaibli.
    Il n’est du reste qu’à jeter un coup d’œil rapide sur une carte du monde pour jauger les prétentions américaines et otaniques d’hégémonie planétaire, et de l’état de diffusion des métastases. Tout peuple ayant gardé en lui un reste de dignité et d’esprit libre réagit vivement, ce qui est loin d’être le cas d’une Europe qui semble se satisfaire d’une condition servile, qu’elle croit à tort garante de sécurité. Fantasme d’esclave…
    Toutefois, il paraît paradoxal de dénoncer l’hypocrisie idéologique des Etats qui se prévalent des droits de l’homme pour bombarder, torturer et détruire des nations libres et indépendantes. Non que ces critiques ne soient efficaces d’un point de vue propagandiste, même s’il faut relativiser une telle force persuasive. La plupart des hommes sont pour celui qu’ils considèrent comme le plus fort, non parce qu’il a raison, mais parce qu’il est fort. Le discours n’est souvent que la queue de la comète. Le rapport de force change-t-il, on voit les perspectives bouleversées, et les amours culbutées. L’Histoire récente offre des spécimens de cet acabit en abondance, et le personnel politique français, expert en palinodies, trahisons et hypocrisie est, à son niveau (celui des domestiques), particulièrement riche en la matière.

    Avant donc de hurler au loup au nom de l’agneau qu’on égorge, il est indispensable de procéder à un recul historique, et de se demander ce que les mots veulent dire, en tout cas ce qu’est l’ombre qui les accompagne. Or, quiconque possède un minimum d’honnêteté intellectuelle admettra un fait historiquement avéré : la diffusion et la victoire du concept de « droits de l’homme » se sont réalisées en concomitance avec une destruction radicale des liens sociaux, des solidarités organiques, des rapports de protection traditionnels, des particularités dans lesquelles prenaient racines les identités, l’expression du caractère et de la personnalité des peuples, ainsi que par un accroissement extraordinaire des capacités d’extermination mutuelle, des armes d’anéantissement et de la volonté de s’en servir, et d’un mépris abyssal pour le passé, l’Histoire, les us et coutumes qui ont fait la multiplicité du monde, sédimentation sage et patiente du temps stigmatisée sous le vocable de « moyen âge », d’ « archaïsme », de « passéisme ».C’est à ce titre que les troupes otanesques tuent en Afghanistan, prétendument pour « libérer la femme », qu’on a massacré des centaines de milliers de civils en Irak, soi-disant pour que les élections soient libres, et qu’on arme, paradoxalement, des extrémistes religieux en Syrie, pour se débarrasser d’un « dictateur sanguinaire ».

    En fait, la rhétorique belliqueuse, largement inspirée des discours antiques puisés cher Plutarque, Suétone ou Tacite, parfois inspirée par la Bible, n’a pas varié depuis le début de l’âge contemporain, depuis ces « Lumières » qui, au nom de la liberté, ont initié une période de sang et de larmes, d’abord en Europe, puis dans le monde. Edmund Burke avait beau jeu de dénoncer dans la révolution de 89 une entreprise antinaturelle, qui prônait l’avènement d’un homme abstrait, utilitariste et individualiste, atomisé, déraciné et narcissique, aux appétits démesurés et mû par une haine viscérale pour tout ce qui rattachait l’humanité à des acquis traditionnels. La réalité de cet homme, que Renan voyait comme un enfant trouvé terminant sa vie comme célibataire, loin de l’utopie prométhéenne d’un système qui déchaîna les forces démoniaques de la nature sous prétexte de créer un paradis sur terre, fut ce que l’on voit désormais sous nos regards désabusés : cette planète laide, géométrisée, quantifiée, prétentieuse, nomade, bétonnée, angoissée, malade, dévastée, au bord de la tombe.

    La chance de l’idéologie des droit d’un homme, qui, au fond, ne peut être rencontré, puisqu’il n’existe qu’abstraitement, fut d’avoir été portée par une nation sans véritables racines, les Etats Unis, dont la rage expansionniste fut proportionnelle au vide qui s’ouvrait dans son fonds propre : n’étant rien, elle aspirait naturellement à être tout. L’Europe épuisée, tout aussi bien que la Russie, n’étaient plus en mesure de déverser dans le monde ce poison acide.

    Cependant, on voit bien que cette folie utopiste se heurte à un certain nombre de réalités, aussi bien d’ailleurs dans le présent que dans le passé du siècle dernier. Que fut donc par exemple l’expérience « soviétique » de la Russie du XXe siècle ? Le bolchevisme n’a-t-il pas, au fond, été accepté (certes, le glaive aidant, mais parfois il ne suffit pas) que parce qu’il réactivait certaines invariances de la nation profonde, sa propension au collectivisme, à l’anti-individualisme, à l’autoritarisme ? La guerre contre l’ennemi « nazi » n’a-t-elle pas été victorieuse uniquement parce qu’elle se réclamait de l’orthodoxie, du patriotisme, de la terre et du sang ? Plus de vingt millions de Russes sont-ils morts pour les beaux yeux (méprisés) de la « démocratie » ? Quelle blague ! Dans les faits, souvent, le « vêtement » socialiste n’a été qu’un prétexte pour des revendications patriotiques. Les soulèvements « tiers-mondistes » le démontrent à l’envi. En outre, les nations qui ont pris le virage du capitalisme, bien qu’elles soient éloignés de la démocratie telle que l’entendent les Occidentaux, sont pourtant en voie d’obtenir une puissance formidable. La Chine, par exemple, n’a pas besoin des « droits de l’homme » pour se développer. Sans compter les autres « dragons » du Sud Est asiatique. On sait aussi qu’imposer le mode de société occidental dans de nombreux pays relève de l’absurdité, comme le prouve actuellement l’expérience libyenne. L’arraisonnement idéologique de l’OTAN se heurte à un mur, celui des peuples tels qu’ils sont. L’équation « un homme / une voix » est un non sens dans des sociétés où la réalité des hommes, le cadre qui les constitue en êtres responsables, est l’ethnie, le clan, le village, la communauté, la religion, la tradition ou la hiérarchie naturelle. Les possibilités de réalisation de l’humain sont variées, et non réductible aux calculs froids et pauvres de laborantins frénétiques, qui voudraient livrer la chair humaine à leurs expériences de fous.

    La vertu de l’assaut actuel des puissances occidentales contre les nations qui échappent à leur emprise est de faire resurgir, comme des sources que l’on croyait disparues, des identités enracinées, sans lesquelles on sombrerait dans un anonymat mortel, celui du supermarché et de la technique. Non que les pays émergents ne soient, d’eux-mêmes, susceptibles de tomber dans cet anéantissement. Cependant, on peut avoir confiance dans leur instinct de conservation pour qu’ils appuient leur puissance d’exister sur un socle ancestral. En retour, il nous sera possible, à nous, Français et Européens, de nous ressaisir, sous peine de mort.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 17 mars 1962)

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  • La tuerie de Toulouse et la haine...

    Nous reproduisons ci-dessous les réflexions quont inspiré à Claude Bourrinet, sur le site de Voxnr, les tragiques événements de Montauban et de Toulouse.

     

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    La tuerie de Toulouse et la haine

    Après la tuerie perpétrée par un homme en scooter dans une école juive de Toulouse, lâche assassinat de trois enfants et d’un professeur d’hébreu, la parole va être encore moins possible qu’auparavant. Non que le flot, légitime, des indignations et de l’émotion, ne va pas envahir l’espace public – nous aurons bien sûr tout ce qui est d’usage en la matière – mais il sera difficile de désembuer la logique, et d’adopter une pensée raisonnable.

    Du reste, pourquoi ne pas, ici même, exprimer l’horreur qu’un tel acte suscite ? Le froid assassinat de trois (ou peut-être quatre) militaires français, à Toulouse et Montauban, ne pouvait que susciter la colère et l’écœurement. La première idée qui vint à l’esprit fut que ce geste relevait d’un terrorisme importé d’Afghanistan, malgré les dénégations des autorités. Cependant, l’origine maghrébine et antillaise des victimes laissait planer le doute, et paraissait plutôt désigner un acte raciste. Ce serait évidemment une circonstance aggravante, l’ignominie d’une exécution de sang froid suffisant au demeurant à disqualifier l’acte de l’assassin. Car si, par hypothèse, il avait été mû par des motifs partisans, il aurait été bien avisé de risquer sa peau et de combattre ses ennemis sur le théâtre même des opérations, au lieu de les supprimer comme un vulgaire criminel.

    Toutefois, l’origine juive des victimes de lundi ne laisse guère de doute sur le racisme de ces actes. La probabilité d’un crime erratique, commis par un égaré, est à écarter.
    Resterait bien sûr à définir la folie. Anders Behring Breivik, l’auteur du massacre de 70 participants, pro-palestinien, à Oslo, était-il aliéné ? On l’a plaidé lors de sa mise en accusation. Au fond, un geste qui dépasse la mesure humaine, qui oublie toute commisération, toute pitié, tout respect de la vie, d’autant plus que l’on a affaire à des êtres sans défense, fragiles et innocents, acte que les Romains appelait « scélératesse », acte monstrueux, n’est-il pas la manifestation d’une faille prodigieuse dans la perception de ce qu’est la condition humaine ? Pour que l’on dénie à autrui un minimum de respect dû à sa nature d’humain, il faut être soit aveuglé par la haine idéologique, soit beaucoup souffrir.

    Les commentateurs de la tuerie d’Oslo n’ont évoqué les raisons politiques qui en sont l’origine que partiellement, en général pour mettre en cause l’ « extrême droite » européenne, terme générique assez flou, occultant le philo-sionisme de son auteur, et son occidentalisme virulent, et ne retenant que sa haine du multiculturalisme et sa xénophobie antimusulmane. Lorsqu’on se trouve devant ce type de d’acte démesuré, les raccourcis fleurissent, et la juste évaluation des choses s’estompe.

    Notons en passant la multiplication de meurtres prémédités, de massacres froids, commis souvent par une personne isolée, dans le monde occidental, depuis quelques dizaines d’années. De la Finlande aux USA, d’Allemagne en Norvège, en France et ailleurs, des individus surarmés ont délibérément liquidé ceux qui se trouvaient en face d’eux. Leur appartenance politique, quand elle existait, était variée. Richard Durn, l’auteur du massacre du conseil municipal de Nanterre, était un militant écologiste, ancien membre du PS avant de rejoindre les Verts. Il était également militant de la Ligue des droits de l'homme (il était trésorier de la Ligue locale des droits de l'homme).

    Peut-être faudrait-il, avant d’invoquer des sources archéo-idéologiques, se demander pourquoi une société qui se veut humaine, protectrice, évoluée, progressiste, engendre de tels monstres.

    Il serait aussi judicieux, mais sans doute ne faut-il pas se laisser tenter par ce genre d’assimilation périlleuse, de souligner combien de tels massacres, de femmes, d’enfants, de civils, d’innocents, sont devenus le lot commun des populations du Proche et du Moyen-Orient, singulièrement depuis que l’impérialisme occidental se mêle d’y imposer la « civilisation ». Au fond, la mort de plusieurs centaines d’enfants, aussi bien palestiniens, durant l’opération « Plomb fondu », de janvier 2008, que libanais, pendant la guerre contre le Hezbollah, n’ont pas suscité le dixième de l’émotion ostentatoire, kippa vissée sur le crâne, de notre personnel politique, qui parade chaque année au Dîner du CRIF.

    Mais rappelons-le, qu’on ne nous fasse pas dire ce que nous ne disons nullement : il est inqualifiable de comparer les morts innocentes. Bien qu’à vrai dire, les médias semblent toujours, explicitement ou implicitement, nous présenter, dans cet ordre sordide, deux poids, deux mesures.

    Cela étant dit, je serais tout à fait en accord avec Jésus-Christ, lorsqu’il proclamait que le « royaume des cieux » était à ceux qui étaient comme les enfants. Malheur à qui s’en prend à eux ! Le tueur, à ce qu’il paraît, a poursuivi une enfant dans la cour pour l'abattre. Après ses premières victimes, d’après un responsable du CRIF, « il est ensuite entré dans la cour de l'établissement et a attrapé une enfant de 8 ans, la fille du directeur, pour lui tirer directement dans la tête ».

    Voilà des faits qui suffisent pour ne pas hésiter une seconde à crier son horreur.
    Mais après ce cri justifié ?

    Ne nous faisons pas d’illusion : la politique reprendra ses droits. C’est même déjà fait. Le « philosophe » hystérique BHL est parti en chasse, avec la célérité peu philosophique qu’on lui connaît. Les autres vont lui emboîter le pas. On va encore fouiner dans les caves de l’ « idéologie » française, en occultant soigneusement que le sionisme est un nationalisme ethnique et messianique. On va procéder à toutes les réductions, et faire taire les critiques en jetant anathèmes, excommunications, accusations diffamatoires. Les discours de sagesse, qui demandent à ce que la justice s’applique partout, quelle que soit l’origine des uns et des autres, ne seront pas entendus. Désormais, la parole ne sera plus que celle des va-t-en guerre. Le tueur ne pouvait pas mieux rêver.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 20 mars 2012)

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  • Presse et propagande...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à la propagande des nouveaux chiens de garde de la presse...

     

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    Presse et propagande : le nouveau militant

    L’historien notera que le développement et l’influence de la presse, ont été inversement proportionnels à l’évolution du clergé. Là où celui-ci déclinait, celle-là triomphait. Le philosophe Hegel faisait remarquer, dans la période postrévolutionnaire, qui vit l’avènement de l’époque contemporaine, que la lecture du journal du matin avait remplacé, pour l’homme moderne, la prière. Ce « devoir », comme l’avait bien relevé Jacques Ellul dans son ouvrage de grande lucidité « L’Illusion politique », donne en effet l’impression d’être en phase avec l’actualité, de communier avec les battements du temps qui marche, qui va de l’avant, et de posséder quelque importance, surtout lorsque au bureau, on est le premier à rapporter, auprès de collègues épatés, le dernier ragot des rédactions. C’est en effet par le journal, d’abord imprimé, puis télévisuel, que l’on connaît ce qu’il est bon de penser des tribulations du monde, si bien que l’âge laïc a produit ce miracle, que ne réussissait pas toujours l’Eglise de jadis, de répondre à la requête de l’ouaille, en lui transmettant un message d’une luminosité et d’un vérité aveuglantes.

    Il n’est pas non plus anodin que la presse d’opinion ait dû croiser l’itinéraire du militant. Elle n’en sortit pas indemne. Les feuillets imprimés de la révolution de 89 étaient des armes, des diatribes ravageuses qui conduisaient parfois amis comme ennemis à la guillotine. Qui s’étonnera, en comparant les journaux ouvriers des XIXe et XXe siècles, du fond et du ton frondeurs qu’ils manifestaient, y compris la presse communiste ? L’arrière-plan insurrectionnel fut longtemps une composante politique de la vie publique, que les jeunes générations, à l’esprit et à l’intelligence ravalés au karcher du politiquement correct, ont de la peine à imaginer. Cependant, l’Internationale situationniste accusait, dans les années soixante, Le Monde, pourtant « journal de référence », apparemment dans l’opposition, d’être toujours du côté du pouvoir. Le style doctoral de ce journal du soir, attaché à la réflexion de fond, n’est pas sans évoquer l’assurance dédaigneuse de celui qui sait, autrement dit le style « philosophe des Lumière » face à l’ignorant, nécessairement victime de préjugés, de superstition, peuple d’en bas à qui on apposera sur la gueule le masque grotesque du « beauf », ou celui de Dupont la joie. Le Monde servirait de modèle, mais, l’évolution des mœurs aidant, sur un mode plus agressif, plus démagogique, plus près du ruisseau.
    Aussi, comme il existe un haut et un bas clergé, y a-t-il une presse ambitieuse, et une presse « bas de gamme », bien que les deux possèdent de nombreux liens. Là où la première mobilise des régiments d’inévitables « spécialistes », tous experts d’instituts, de « clubs de réflexion » ayant poussé, depuis quelques lustres, comme des champignons, tout en donnant caution à la leçon du jour, les mass médias plus populaires ramènent les messages à un langage plus sommaire, plus à la portée du commun. Ce sont parfois d’ailleurs les mêmes qui œuvrent à ces deux étages. Ce qui nous vaut, à longueur de journée, comme la répétition obstinée d’un moulin à prière, les prétendues analyses du même acabit, prouvant que les choses étant ce qu’elles sont…, ou bien que les Bons devant se défendre contre les Méchants…

    Les progrès technologiques dans le domaine de la communication, le développement des réseaux télévisuels, des téléphonies et la réactivité de la communication, ont élargi la puissance de persuasion des machines propagandistes. La concentration de la presse et les rapports incestueux entre mondes politique, économique et médiatique ont eu pour conséquence une saturation sans réelle concurrence des organes de diffusion du système. En outre, la disparition, après la chute du mur de Berlin, des voix « différentes », comme celles qui se faisaient entendre, durant la Guerre froide, notamment contre la guerre du Vietnam, pour ne prendre qu’un exemple emblématique, donne l’impression d’une morne plaine, malgré l’incroyable choix de canaux mis à la disposition de chacun. Si bien qu’on a l’impression de n’avoir qu’un seul journal, qu’une seule chaîne de télévision, comme dans tout système totalitaire qui se respecte. L’absence quasi-totale de critique visible et audible lors des événements de Libye ou de Syrie, l’impossibilité de rencontrer un point de vue dérangeant quand il s’agit de l’Iran, d’Israël ou de la Russie, les discours fatalistes sur la crise et la rigueur, contribuent à créer une atmosphère lourde, pesante, obscure, propice à toutes les explosions. Le pouvoir croit tenir l’opinion, mais la perte de crédibilité de la presse est patente. Et c’est, paradoxalement, la première à s’en étonner.

    On pourrait arguer qu’elle est pourtant bien placée pour savoir de quoi il retourne. Qui saura distinguer l’avidité et la duperie ? On avancera donc que la déduction fiscale accordée à la profession par Juppé en 2008, ainsi que tous les avantages matériels ou de prestige qu’octroie le métier de journaliste, quand on appartient au moyen ou au grand clergé, ne sont pas pour rien dans le jeu des conviction, dans la pratique de la censure ou de l’autocensure, ou dans la volonté cynique de manipuler l’opinion. Comme le remarquait déjà Pascal, un avocat bien payé se trouve des talents insoupçonnés. Toutefois, il faut faire la part de la conviction, et même de la certitude la plus bétonnée de se trouver dans le vrai. Un cynique sait qu’il ment, et c’est pour cela qu’il n’est pas entièrement médiocre. Au fond, un traître, qui érige sa tâche à l’état d’art, n’est jamais inintéressant. Il ne faudrait pas croire cependant que nos petits journaleux se hissent à ces sommets. Les « héros » qu’ils donnent à l’imaginaire du bon peuple, et singulièrement aux adolescents revenus des « french doctors » passablement discrédités par Kouchner, sont de cette pâte dont on fait les braves soldats un peu niais. Si l’on fait abstraction des incohérences, des mensonges aisément identifiables de l’épopée de tel ou telle (par exemple Edith Bouvier et William Daniels, rescapés de Bab Amr), il ne sera pas difficile de démêler quelle part de foi, de conviction idéologique, d’aveuglement politique entre dans leur détermination à se rendre sur le terrain. Ne parlons pas de ceux qui, en lieu sûr, colportent les fantaisies d’Observatoires des droits de l’homme ou d’autres officines partisanes, comme si elles étaient paroles d’Evangile. Ces gens-là font leur job de propagandistes, dont l’attirance pour l’Amérique ou Israël est évidente. Quant aux premiers, tout aussi atlantistes par ailleurs, nous remarquons qu’ils risquent leur vie, et que, d’ailleurs, certains ont péri. Les héros rejoignent ainsi la condition des martyrs. Les Che du micro, de la caméra et de l’appareil photo ne peuvent qu’avoir raison, puisqu’ils ont mis leur peau en jeu.

    C’est là une vieille histoire qui, des premiers chrétiens aux fondamentalistes islamistes, prouve seulement une chose, c’est que des hommes peuvent éventuellement se sacrifier. Qu’il entre, dans l’affaire, de la griserie, de l’aventure, le frisson que tout combattant savoure, en un âge si terriblement ennuyeux, on peut en convenir. Mais qu’on n’aille pas dire que le danger garantit la véracité des faits ! A ce compte, combien auront eu raison, qui ont été pourtant désavoués par l’Histoire ?
    Car c’est au fond un phénomène majeur dans l’évolution de la presse, que la prolifération d’un nouveau type de militant, « nouveau chien de garde » (annoncé au demeurant par Albert Londres ou Arthur London). La presse prétendait, dans la société industrielle, informer et former le citoyen. Elle le formatait aussi. Il semblerait que ce seul dessein fût son dernier rôle. Le reporter, devenu personnage de fiction, une sorte de Tintin postmoderne, est beaucoup plus proche, dans sa psychologie et sa manière d’être, d’un membre très engagé des anciens partis fascistes ou communistes. La vérité n’est plus qu’une opinion empreinte de relativité. La fin justifie les moyens, et le but final, la « Raison » régnant sur le globe, accrédite toutes les dérives. La falsification des faits devient alors une espèce de « mentir-vrai », une fiction, la projection d’un fantasme manichéen sur le champ du réel.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 8 mars 2012)

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  • Que reste-t-il du paysan ?...

    Alors que le salon de l'agriculture ne va pas tarder à fermer ses portes, après avoir vu passer la quasi-totalité des candidats à l'élection présidentielle, nous vous proposons de lire le point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacrée à la France rurale, elle aussi frappée par la mondialisation...

     

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    Salon de l'agriculture : que reste-t-il du paysan ?

    Nombreux sont les candidats à l’élection présidentielle, qui se pressent au Salon de l’agriculture, comme pour recevoir une onction, une légitimité quasi sacrée. On ne manque pas de souligner le paradoxe, entre le poids électoral déclinant des campagnes, et l’inflation rhétorique et symbolique qu’entraîne une telle immersion dans la « plus grande ferme de France ». Il est vrai que le nombre d’exploitations agricole n’a fait que chuter depuis plus d’un siècle, pour s’accélérer ces quarante dernières années. D’1,6 million en 1970, elles atteignent 600 000 en 2003, puis 500 000 en 2010. Leur surface s’accroît, augmentant en moyenne, en dix ans, de 13 hectares. Près d’un million de personnes en vivent, quand, en 1945, c’était près de dix millions d’actifs. L’économie de subsistance a laissé la place, à partir des années 50, avec le plan Marshall, et avec l’aide de l’Etat, puis de l’Europe, à une gestion productiviste ouverte sur le marché international. La France, autosuffisante en 1970, est le premier exportateur de produits agricoles et alimentaires européen, et le deuxième dans le monde. L’agriculture intensive n’a pas été seulement la cause d’un changement de vocabulaire, substituant administrativement l’appellation « paysan » par « exploitant agricole », plus fonctionnelle. Les contraintes de cette « modernisation » ont entraîné une révolution dans le rapport à la terre. Les investissements en matériel, engrais, produits phytosanitaires ont transformé l’agriculture en source de rentabilité, au même titre que n’importe quelle autre entreprise. La quête de capitaux est devenue cruciale, la dépendance aux banques, aux primes et à la fluctuation des marchés un souci permanent. L’agriculture est un secteur protégé, et en même temps libéral, ce qui ne manque pas de susciter des tensions, repérables notamment dans la mise en cause de la FNSEA par d’autres syndicats moins proches du pouvoir. C’est aussi le paysage et l’environnement qui pâtissent de ce bouleversement : la concentration des propriétés entraîne en effet l’arrachage des haies, la concentration des surfaces agricoles, le déboisement, et l’usage intensif des engrais et pesticides, dont la France est le second consommateur après les USA, ce qui n’est pas sans provoquer une pollution endémique des voies d’eau et des terres. Là aussi, un mélange de fierté et de culpabilité mine la conscience « paysanne ». Enfin, cette modernisation, comme dans l’ensemble de la société, a créé de profondes inégalités. Un quart des agriculteurs se situent au-dessous du seuil de pauvreté, et le taux de suicide est plus élevé que partout ailleurs. Qui a côtoyé de près le monde rural sait combien de situations de détresse y abondent, sans que ces drames n’attirent l’attention des médias, obnubilés par les « problèmes des banlieues ».

    Libre-concurrence et protection

    La condition agricole se trouve donc ambivalente. D’un côté d’indéniables réussites économiques, de l’autre des difficultés qui tiennent autant à la mondialisation de l’économie qu’aux nouveaux besoins suscités par le changement de civilisation induits par la « modernité ».

    En 1995, le Groupe d’étude britannique de la PAC (Politique agricole commune) proclamait : « En ce qui concerne la réforme de la PAC, il n’existe aucune raison de traiter les agriculteurs différemment d’autres opérateurs économiques relativement aux changements de politique qui les touchent. » Ce discours, redondant de la part d’une Nation qui a sacrifié son agriculture en 1846, par les « corns laws », en décidant le libre-échange généralisé avec l’Empire, revendications appuyées parfois par des pays, comme une Allemagne qui a choisi l’industrie, ou comme les USA qui font pression agressivement sur la Commission de Bruxelles pour ouvrir le marché aux OGM, aux hormones, non sans complicité de cette dernière, et non sans hypocrisie, puisque le marché américain est surprotégé, rappelle combien l’avenir de l’agriculture française, dépendante d’aides qui la lient, est sans cesse en danger de précarité. Du reste, de nombreux secteurs, soumis aux pris bas de produits importés, comme le lait ou l’agneau, subissent les conséquences d’une ouverture des frontières excessive. La revendication française de protection d’un secteur florissant n’est pas sans rappeler les enjeux qui sont ceux de la culture et du cinéma. Les ennemis sont toujours les mêmes, à savoir les anglo-saxons et l’OMC, qui, parfois, se servent des pays émergents pour miner les défenses européennes (par exemple la question de la commercialisation des bananes).

    La France et la terre

    Toutefois, en ce qui concerne la France, on conviendra que la défense du PAC dépasse la simple question économique. Non sans paradoxe. Car, comme on l’a vu, la modernisation énergique et systématique de l’agriculture a été la cause d’un changement profond de la condition paysanne qui est loin de correspondre à ce qu’elle était il y a seulement un siècle. Nous touchons là un sujet qui est lié à l’imaginaire, et plus largement à un enjeu culturel au sens large. Le ministre de l’agriculture de l’année 2003, Hervé Gaymard, ne déclarait-il pas : « […] ce qui est en cause dans les négociations communautaires et internationales n’est rien moins que la sauvegarde d’un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. »

    Les Romains notaient déjà le caractère profondément agricole des Gaules, et sa richesse. Gaston Roupnel, en 1932, remarquait, dans son merveilleux ouvrage, l’« Histoire de la campagne française » : « Car ici l’homme est fils du sol qui lui grava et lui colora les traits de sa face et de son âme. Ici, c’est sans cesse et partout que la terre « s’est faite homme ». En cette Europe de l’Ouest, nous n’avons de race que d’être les descendants du défricheur primitif. » Mais la France, c’est aussi la civilisation latine, l’esprit romain, qui, comme l’on sait, gardait profondément comme référence nostalgique le paysan du Latium, homme rude, simple, vertueux, modèle du citoyen de l’Urbs, et symbole de la domestication de la nature sauvage, principe qui a transformé nos paysages en « jardin ». Dans les Géorgiques, Virgile en fait l’éloge :

    « Le laboureur ouvre sa terre, avec le soc.
    De là, sueur au front, il nourrira toute une année
    Patrie, enfants, troupeaux, les bœufs ses compagnons.
    Point de repos qu’en leur saison les fruits n’abondent
    Et le croît du bétail et les gerbes de chaume
    Et la moisson, lourde au grenier comme au sillon. »

    Nous trouvons là une image qui perdure dans le « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », de Sully, et dans les représentations iconographiques abondantes, du paysan intégré à l’ordre cosmique, soumis humblement aux travaux des saisons, suivant sagement, impassiblement les usages de sa condition, comme nous le suggèrent les miniatures vives des « Très riches heures du duc de Berry », ou le tableau de Bruegel l’Ancien, qui montre un laboureur absorbé par le sillon que trace le soc, tandis qu’à l’horizon, un Icare, victime de sa démesure et de son agitation imprudente, chute dans la mer infinie où voguent les vaisseaux.

    La France agricole est en effet cet « Empire du milieu » d’Occident, qui fait écho à la Chine. Elle abrite dans ses entrailles, comme le faisait remarquer Chaunu, le plus grand nombre de morts au monde. Elle est une terre bénie des dieux, singulièrement propice à toutes les variétés de productions agricoles, elles-mêmes reflets de types sociaux et culturels, souvent singularisés par une langue, un patois, qui ont fait de notre pays une contrée aux innombrables pays, et, malgré cela, un Etat fort et concentré. C’est cette originalité, cette personnalité que représente le maintien d’un monde agricole diversifié, et en même temps profondément attaché à la Nation française. Il n’est pas indifférent que Jeanne d’Arc fût une paysanne.

    Un imaginaire frappé par la modernité

    Néanmoins, nous voyons ce que nous avons perdu par l’exode rural. Des parlers se sont évanouis faute de locuteurs, ou abandonnés par les jeunes générations fascinées par la modernité. Des modes d’existence, des liens de solidarité, des complicités de village, des sensations mêmes, liées à un vocabulaire spécifiques, ont été irrémédiablement détruits par ce que l’on pourrait considérer comme un ethnocide. Les jeunes agriculteurs, rejoints par les « néo-ruraux », qui font monter le prix de l’habitat, cernés par la spéculation foncière, les aménagements des voies publiques, ne présentent plus guère de différence de vie, de consommation et de goût, avec les jeunes urbains. Après le formica des pères, c’est internet ou la télévision, le supermarché de la ville voisine ou la discothèque du samedi soir qui ont vite fait s’uniformiser les esprits. Le rapport à la terre s’est distancié. Du haut de tracteurs de plus en plus volumineux, ou à bord de quads pétaradants, le contact avec la glèbe n’est plus le même. On fait appel désormais à des sociétés pour ensemencer, et les semences elles-mêmes sont protégées par des brevets, ce qui interdit d’utiliser les graines qui résultent des plantes dont elles sont le produit. Au point que l’on se demande si le symbole d’un enracinement ancestral possède encore quelque justification. Mais qui dira ce que les symboles recouvrent encore au fond des consciences ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 26 février 2012) 

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  • L'Empire au cœur...

    «Je me sens plus proche d'un griot peulh que d'un bouffeur blanc de hamburgers»

    Claude Bourrinet, dont nos lecteurs habituels connaissent bien les talents de polémiste, vient de publier aux éditions Ars Magna un essai intitulé L'Empire au cœur. Un ouvrage qui, comme l'a indiqué Alain de Benoist dans le dernier numéro de la revue Éléments, "est à la fois une chronique de l'«âge de fer» (la modernité marchande) et un joyeux appel à l'avénement d'un «empire poétique»"... 

    L'ouvrage est disponible sur le site des éditions Ars Magna : http://www.editions-ars-magna.com/323/claude-bourrinet-lempire-au-coeur

     

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    "On cherchait jadis le salut, on a remplacé cette quête par le droit au bonheur, puis par le devoir de l’obtenir, ce qui a rendu l’homme très malheureux. Les élans vers un avenir meilleur se sont mêlés étrangement aux regrets d’un monde perdu. On a enfin oublié les temps anciens, et oublié l’oubli. La mélancolie ne sait plus quoi étreindre, et les enthousiasmes sont devenus des pulsions qui chutent dans un présent sans fond.

    Le seul style contemporain, digne du vide, demeurerait donc la diatribe, du moins ce réalisme discord qui reflète dans un miroir déformé un monde désaccordé, histoire de le rendre un peu plus droit.

    L’Empire a vocation à la paix, il permet à ses membres d’accueillir ce à quoi aspire l’être humain, l’amour du monde, lequel, selon Dante, agit les êtres, quels qu’ils soient, et donne au Cosmos cette sève qui le tient vivant. Si bien que rejoindre ce que l’on a au plus profond de soi, cet amour qui lie toutes choses, c’est se rattacher aussi à un repère sacré, qui est l’image et le lien avec l’harmonie universelle.

    Agé de cinquante-cinq ans, Claude Bourrinet est revenu, comme Ulysse, dans sa patrie, entre les grottes ornées du Périgord et les antiques volcans d’Auvergne. Cette demeure ultime est une quête, au cœur de la nature sauvage, où habite encore le divin, et par l’écriture, qui fouaille et révèle les secrets de l’être."

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  • Claude Allègre parmi les siens...

    Nous reproduisons ci-dessous un portrait au vitriol de Claude Allègre par Claude Bourrinet, publié sur Voxnr. A lire !...

     

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    Nicolas, Claude, François et les autres

    Stefan Zweig, avant son suicide, le 22 février 1942, écrivit une nouvelle, Le Joueur d’échec, publiée à titre posthume, qui met aux prises, autour d’un échiquier, deux êtres que tout oppose. Le premier, Monsieur B., un aristocrate, a pratiqué le jeu subtil dans une geôle de la Gestapo. Le second, Mirko Czentovic, champion du monde des échecs, comme Claude Allègre peut être lauréat du Nobel etc., est un individu frustre, ignorant, redoutable tacticien, exécutant efficace. L’un est pourvu de ce que Pascal nomme l’esprit de finesse, dont la lucidité aiguë peut entraîner la faiblesse et l’impuissance, l’autre de l’esprit de géométrie, dont l’engrenage mécanique garantit une victoire, celle du tracteur, image chère à notre ancien ministre de l’éducation « nationale ».

    Les saillies grotesques de l’homme Allègre, qui ressemblent par bien des côtés, dans l’ordre intellectuel, aux provocations gouailleuses d’un Coluche, avec la même productivité démagogique, auraient pu apparaître, à la fin des années 90, comme le cas pathologique d’un imposteur étrangement parvenu sur l’un des sommets de l’appareil d’Etat. Mais au fond, on le vit bien dans les commencements d’un XXIe siècle, concept néomaniaque cher à tous les modernistes fétichistes, que la vulgarité, la caricature imbécile et agressive, allaient devenir, même au faîte de l’Etat, un mode de gouvernement.

    On apprend que le personnage a rejoint le QG de Nicolas Sarkozy, avec lequel il doit bien se trouver des accointances. Le plus pitoyable et le plus comique dans l’affaire, est que les journalistes collent au produit made in USA Allègre l’étiquette « socialiste ». Il est vrai que le système d’alternance gauche/droite demande encore que l’on croie aux apparences, comme les philosophes « éclairés », descendants des haruspices, appliquaient mécaniquement, selon les dires entendus de Voltaire, les gestes de la messe, tout en se clignant de l’œil, goguenards. Voilà encore un effet de la séduction présidentielle, dira-t-on. Il est vrai que plusieurs transfuges du parti socialiste, les uns mus par le ressentiment, d’autres par l’arrivisme, certains par des appétences sionistes et atlantistes, tous par un penchant avoué pour le libéralisme économique, ont rejoint les rangs de ce qu’on désigne comme la « droite ». Il est inutile de revenir sur ce qu’a été, durant les cinq dernières années, ce jeu de dupes, ce trompe-l’œil itératif, qui n’a fait qu’amuser la galerie médiatique, et contribuer à plonger le pays dans le désespoir.

    Le plus surprenant est que l’on accorde tant d’importance à des personnages aussi peu reluisants, dont la crédibilité, dans le domaine qui est le leur, est largement entamée. A ce titre, Allègre demeure comme un paradigme, un exemplaire de l’imposture récurrente, non seulement parce qu’il a mené une politique démagogique et dévastatrice au ministère de l’Education, avec le soutien et les conseil de cet autre Attila qu’est Philippe Merrieu, mais aussi, dans le domaine scientifique, il a enfilé comme des perles les bourdes, les erreurs, des ignorances qui auraient disqualifié n’importe quel lycéen. Qui ne se souvient pas de ses sorties bouffonnes, dénoncée par les spécialistes, sur la gravitation, sur la relativité, sur le réchauffement climatique, et, dernièrement, sur les OGM, qui seraient inoffensives pour l’environnement ? Celui qui conseillait jadis d’étudier au lycée les mémoires de Zinedine Zidane, et qui s’en prenait grossièrement aux professeurs, détenteurs du savoir, est sans doute le plus apte à lâcher des énormités. Mais ce triste sire, qui réside de façon quasi permanente aux USA, qui ne voit que par l’empirisme raboteur ango-saxon, qui présente en modèle l’enseignement dévasté du nouveau-monde, n’est-il pas finalement ce que l’on peut offrir de meilleur en guise de libéral estampillé ? Nous voyons chaque jour, parmi ces « économistes » qui hantent les plateaux de télévision, ce genre de spécimens aussi obtus que des reptiliens antédiluviens, auprès desquels un mammouth est une bête d’une subtilité sans pareille.
    La question essentielle serait de savoir pourquoi on passe si aisément de la « gauche » à la « droite ». Si l’on s’avisait d’enquêter sur l’hypothèse inversée d’une passe entre « droite » et « gauche », on serait bien prêt d’avouer qu’un tel effort est inutile. La « droite » en effet est d’accord avec la « gauche » sur presque tout ce qui touche les problèmes « sociétaux » et civilisationnels : elle est partisane, dans les faits, sinon explicitement, de l’immigration de masse, favorable au « métissage », ne hait point le mariage gay, l’euthanasie, même si elle y met parfois des airs de sainte Nitouche, électoralisme oblige, bafoue l’autorité des maîtres, des parents, crache sur notre Histoire nationale, quand elle ne la supprime pas, etc. Pourquoi un membre de la dite « droite » rejoindrait-il les troupes de la « gauche » si la « droite » n’est plus qu’une coquille creuse, ou, du moins, enveloppe les mêmes valeurs que celles de « gauche » ? S’il y est, à moins d’être sot comme un Orgon face à Tartuffe, il sait à quoi s’en tenir ! Il y a belle lurette que les valeurs de « droites » sont jugées désuètes, « ringardes » par une classe politique formatée par le même moule ! Mais, rétorquera-t-on, peut-être aurait-on, dans l’esprit sensible de quelque militant de l’MP, par aventure, des scrupules à voir le pays détruit par une politique libérale et mondialiste extrémiste, et voudrait-on, avec humilité, revenir à une politique équilibrée, dont l’Etat serait l’acteur volontariste, régalien, pour tout dire gaullien ? Pourquoi pas la « gauche », alors ? Seulement voilà : la « gauche » partage les mêmes convictions civilisationnelles que la « droite » en matière économique, sans parler des choix géopolitiques, sionistes et atlantistes, mondialistes et, in fine, comme un Strauss Kahn et un Attali ne cessaient de le marteler, le même projet de gouvernement planétaire, totalitaire, et dédaigneux des identités (hormis celles qui, provisoirement, peuvent servir à leur entreprise dévastatrice de nos racines).

    Les déclarations récentes de Hollande, dans le journal de « gauche » britannique, le Guardian, ne laissent guère de doute sur ce choix. Le candidat « socialiste » avance dans cet entretien qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant ses déclarations belliqueuses contre la « finance », que la gauche, sous Mitterrand, avait déjà « réconcilié » le pays avec l’entreprise et la bourse, que les communistes sont cuits, bref, qu’il est un libéral pure souche. La preuve ? Il admire Tony Blair, dont on sait comment il continua la politique libérale de Margaret Thatcher, et comment il fut désigné par le sobriquet de « caniche de Bush », lui qui aligna son pays sur la politique agressive et colonisatrice des Américains en Irak, comment il mentit effrontément, fut accusé de crime de guerre etc. Beau modèle, en vérité ! Un peu comme ces responsables « socialistes » grecs, espagnols et belges, collaborateurs des fossoyeurs de leur propre pays, acteurs de plans de rigueur, dont Hollande, en Grèce, ne met pas en doute l’opportunité. Terra Nova, Groupe de réflexion qui l’influence, ne prend-il pas son inspiration dans le système politique et économique américain ? Les « primaires » ne sont-elles pas un plagiat grotesque des mœurs outre-atlantiques ? En souhaitant un retour de la Grande-Bretagne au « cœur » de l’Union européenne, Hollande n’avoue-t-il pas explicitement un choix libre-échangiste, mondialiste, à domination anglo-saxonne, dont la prépondérance écrasante de la langue anglaise est l’illustration, perspective que le général de Gaulle craignait, et qui fut ouverte, comme l’on sait, en 1973, par l’entrée du Royaume uni dans le Marché commun ? Après l’avoir longtemps caricaturé par idéalisme idéologique, la « gauche » n’a-t-elle pas balancé, comme la France, le peuple français dans la corbeille de l’Histoire ?

    Si Allègre possède une qualité, c’est celle de synthétiser, dans sa médiocrité de fourbe, dans son cynisme de Ganelon, dans sa vulgarité libérale, dans sa brutalité de politicard roublard et méprisant, les tendances lourdes de l’UMPS.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 20 février 2012)

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